samedi 27 octobre 2018

Zone SAR de la Libye : un crime des États européens


Prochain cercle de Silence de Strasbourg
mardi 30 octobre de 18h à 19h place Kléber
Rejoignez-le, même pour quelques instants


[Note. Le cercle de silence de novembre aura probablement lieu pl. d'Austerlitz, en raison du marché de Noël sur la grande île. Nous annoncerons bientôt le lieu.]

Nous mettons ce mois-ci le projecteur sur deux faits particulièrement graves, en vous invitant à agir si vous le voulez :
  1. Le blocage de l'Aquarius, le navire de sauvetage de l'association SOS Méditerranée, dans le port de Marseille depuis trois semaines et surtout ses causes, notamment la sous-traitance à la Libye du refoulement des étrangers en Méditerranée que les États européens organisent. Pardon, ce sera long, mais cela mérite une explication claire. SOS Méditerranée a lancé une pétition que vous pouvez signer pour demander que les États la laissent effectuer sa mission de sauvetage. Simplement parce que ça sauve des vies.
  2. Les violences et illégalités policières systématiques dans les Alpes à la frontière italienne, commises sur ordre ou au moins avec l'assentiment du gouvernement. Ici une pétition de la Cimade pour demander la relaxe de sept bénévoles poursuivis là-bas pour « aide à l'entrée d'étrangers […] en bande organisée » : ils ont participé à une marche de protestation contre l'équipée de Génération Identitaire.
Nous signalons aussi la violence croissante de la rétention administrative en France.

1. L'Aquarius est actuellement bloqué à Marseille, à la recherche d'un État acceptant de l'enregistrer, après le retrait de son pavillon par le Panama. Les médias ont parlé de sa longue recherche d'un port pour débarquer ses personnes secourues en juin 2018, après le refus de l'Italie (la plus proche) puis de la France (qui venait ensuite, bravo), et enfin de son débarquement en Espagne, puis d'une autre histoire semblable ensuite. Ils ont parlé du retrait de son pavillon par le Panama. Ils ont évoqué, un peu, le nombre de morts qui grimpe en flèche en Méditerranée avec ces entraves aux secours associatifs.
Mais il n'ont pas parlé d'un acte de fond, délibéré et construit par nos États européens depuis plus de deux ans, qui sous-tend une bonne partie de ce qui se passe : l'enregistrement en juin 2018 par l'Organisation Maritime Internationale (OMI, agence de l'ONU) de la zone de Recherche et de Secours de la Libye.
Nous en avions parlé oralement au dernier cercle de silence. Aucun média français n'a expliqué cela, nous l'avons découvert par des médias en anglais. Seul Mediapart l'a enfin fait le 11 octobre dernier.
Cette zone dite SAR (Search And Rescue, en anglais) est une zone à peu près huit fois plus vaste que les eaux territoriales, où l'Etat riverain est officiellement chargé de la coordination des sauvetages éventuels. Les ordres qu'il donne alors dans ce cadre aux bateaux passant dans sa zone doivent être suivis. Tout pays côtier faisant état de moyens adéquats pour cette coordination peut déclarer cette zone auprès de l'OMI. L'Italie et les États européens, depuis plus de deux ans, ont financé et « formé » les gardes-côtes libyens et assisté la Libye pour qu'elle se dote d'un centre de coordination de secours, à Tripoli (JRCC, Joint Rescue Coordination Centre). Fin juin 2018, nos États récoltaient enfin le fruit criminel qu'ils désiraient : la Libye déclarait sa zone SAR auprès de l'OMI. Nos 28 chefs d'État et de Gouvernement en prenaient implicitement acte en déclarant dans les conclusions du Conseil Européen de juillet que les secours en mer devaient désormais « obéir aux gardes-côtes libyens ». En pratique donc : ils ont réussi a doter la Libye des moyens techniques et juridiques de devenir une prison. Elle se sert en effet de son nouveau droit pour empêcher la fuite de son sol par la mer —au mépris du droit, qui d'une part prévoit le débarquement des naufragés dans des ports sûrs (donc pas en Libye, voir plus bas), et qui d'autre part, par les Conventions de Genève dont nos États sont signataires, interdit le refoulement de toute personne demandant l'asile.
Il faut rappeler ce qu'est la Libye. C'est un pays en guerre civile, où torture, viol, esclavage, assassinat des étrangers sont généralisés, avec le laisser-faire des autorités ou leur rôle actif. Où les camps pour étrangers sans papiers sont des lieux de torture et d'esclavage d'État. La Libye a avait menacé e 2017 d'ouvrir le feu sur un bateau de secours associatif, lui ordonnant de quitter ce qu'elle revendiquait comme sa zone SAR sans l'avoir encore déclarée. Des gardes-côtes libyens ont été filmés en train de mettre en danger des naufragés, de les frapper une fois à bord. La Libye n'a également pas d'État de droit, donc n'offre aucun recours en cas d'abus de ses policiers ou garde-côtes. Elle n'est pas signataire des Conventions de Genève et ne reconnaît pas de droit d'asile. La Libye n'a donc, en particulier, aucun port sûr. Pourtant le droit international prévoit le débarquement « dans un port sûr », déterminé par… le pays responsable de la zone SAR où a lieu le sauvetage, après échange avec le capitaine du navire ayant porté secours. Et la Libye a une forte tendance à ordonner le débarquement chez elle des personnes sauvées dans sa zone.
Par conséquent, ce qui se passe aujourd'hui :
  • les gardes-côtes libyens ordonnant à l'Aquarius de cesser un sauvetage urgent d'un bateau prenant l'eau, avec notamment de nombreux enfants, et le menaçant de l'arraisonner pour le conduire de force à Tripoli (illégalement : la Libye confond coordination des secours et pouvoir de police dans sa zone SAR, qu'elle n'a pas),
  • ces mêmes gardes-côtes indiquant qu'ils voulaient récupérer les naufragés pour les reconduire chez eux (donc pas dans un « port sûr » : c'est illégal), et finissant par céder en laissant entendre à l'Aquarius que c'était son dernier sauvetage dans la zone,
  • le Panama prenant prétexte du refus d'obtempérer de l'Aquarius aux responsables de la SAR (les Libyens, donc) pour lui retirer son pavillon,
  • les nombreux sauvetages rendus impossibles par l'inertie des Libyens (« Ils ne répondent pas. Ne donnent pas les informations. Les gens meurent », voir plus bas),
tout cela a une source : la déclaration de la zone SAR libyenne en juin 2018. En avoir donné les moyens à la Libye est un crime de nos États européens. Mais tout va bien : l'Union Européenne « forme » ses gardes-côtes, pour « contenir les flux de migrants en Italie » (au moins c'est clair) et « réduire les morts en mer » (sans rire, propos du Vice Amiral Credendino, responsable de la mission navale de l'UE en Méditerranée).
Nous finissons par les propos du responsable des secours de l'Aquarius, à propos de la coordination des secours par la Libye, simplement inexistante quand elle n'est pas criminelle. Pour les abonnés du Monde tout est là :
mais voici un résumé : « Les gens meurent, personne ne coordonne, et ça a l'air de ne déranger personne. La coordination a cessé dans la zone. Nous recevons des messages de détresse. Nous contactons les Libyens, qui ne répondent pas. Nous contactons les Italiens, qui nous renvoient vers les Libyens. Nous n'avons pas d'information, les efforts (de sauvetage) sont empêchés, ralentis, et les gens meurent. Le plus dangereux pour les gens en mer maintenant ce ne sont pas les éléments, ce sont les manœuvres politiques, des politiciens en Europe, pour entraver les opérations de sauvetage. La conséquence : les gens meurent. »
[Informations supplémentaires : explications juridiques sur le sauvetage en mer, interview d'un responsable de SOS Méditerranée à France Inter, et d'un sauveteur dans Télérama.]
Et puisqu'il faut mettre les points sur les i : non les sauvetages ne favorisent pas la migration. Ils sauvent des vies.
L'Europe actuelle est une zone de prospérité comme le monde n'en a jamais connu. Non seulement nous laissons sciemment mourir à nos portes mais nous faisons tout pour empêcher les quelques malheureux bateaux associatifs de secours, financés par des dons, de sauver des vies.

2.
La police commet depuis plusieurs mois des violences et dénis de droits élémentaires systématiques (refoulement, empêchement de demandes d'asile, menaces, insultes, courses-poursuites, vols etc.) dans les Alpes près de Briançon. Douze associations ont mené une campagne d'observation pour les relever. Leur communiqué est ici. Nous reproduisons quelques témoignages (les prénoms sont modifiés) :
Moussa, originaire de Côte d’Ivoire, refoulé vendredi 12 octobre vers l’Italie, a raconté son interpellation : poursuivi dans un sentier par les gendarmes qui lui ont dit « arrête-toi, on va tirer », il a alors paniqué et glissé, son genou a claqué. Au poste de police, il a demandé à voir un médecin, ce qui lui a été refusé. Il a ensuite été refoulé vers l’Italie et ce n’est qu’à ce moment-là qu’il a pu rencontrer un médecin bénévole qui a pu le soigner.
Mineur isolé originaire également de Côte d’Ivoire, Ibrahim* a été interpellé par des gendarmes le samedi 13 octobre, dans les sentiers de montagne. Après son refoulement, il a raconté aux militants les propos des gendarmes : « Vous n’êtes pas Français, vous ne pouvez pas vivre en France sans être Français et vous n’êtes pas près de devenir Français ». Emmené au poste de police, il a déclaré sa minorité mais les policiers lui ont alors répondu « La plupart des personnes mentent sur leur date de naissance, pourquoi je te croirais ? ». Ibrahim a ensuite été reconduit en Italie, sans accès à la protection à laquelle il a droit.
Simon, fin avril 2018 : « J’ai dit que j’étais mineur, ils ont éclaté de rire […]. J’ai présenté mes papiers guinéens et un homme [un policier] […] a dit que ces papiers étaient des faux, il les a déchirés. »
Bakary a également témoigné des propos des policiers lors de son arrestation, toujours en juin 2018 : « La prochaine fois que vous essayez de traverser, on vous renvoie direct en Libye. »
Ibou 15 ans : « J’ai marché toute la nuit. A 8h, je me suis fait prendre à la sortie de Montgenèvre. On nous a emmenés à la PAF, on nous a fouillés, ils nous ont interrogés et nous ont fait signer un papier, ils n'ont pas voulu nous écouter. Maintenant, je n'ai plus l'espoir. »
X 16 ans : « La police criait : bougez pas, celui qui bouge va le regretter. J'ai couru, ils m'ont poursuivi. J'ai glissé et mon genou a claqué. J’ai demandé à aller à l'hôpital. Ils m'ont répondu qu'ils ne pouvaient rien faire pour moi, que je n'avais pas le droit d'entrer en France. »
Martin 17 ans : « Des policiers ont procédé à une fouille au corps et nous ont amené en voiture jusqu'au poste frontière. Nous sommes restés une heure environ. On ne nous a proposé ni nourriture, ni eau. J’ai donné ma date de naissance mais les policiers ont refusé de l’enregistrer. »
Pape 16 ans : « La police a commencé à nous pousser. J'ai dit que j’avais 16 ans. Ils ont changé ma date de naissance. Le policier a signé le document à ma place parce que je ne veux pas retourner en Italie. Ils nous ont ramené à Clavière : « Voilà la route, retournez en Italie ». »
Tout est précisément documenté. Comment ceci ne soulève-t-il pas immédiatement un scandale national ? On en parle à peine.
3. Enfin la rétention administrative, en protestation contre laquelle sont nés les cercles de silence, est de plus en plus utilisée, de plus en plus violente. Voir ici un communiqué de la Cimade.

1 commentaire:

  1. je viens de lire dans les DNA du dimanche 28/10/2018
    "agenda:Strasbourg cercle du silence
    mardi 30 octobre les personnes qui souhaitent participer au rassemblement silencieux[....]le Cercle du Silence de 17h30 à 18h30 sur le forum place de la République à Strasbourg"
    alors quid????

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