Attention, pas de cercle de silence à Strasbourg ce 30 juillet.
Retrouvons-nous le 30 août.
Fin
juin, la capitaine Carola Rackete décidait de faire débarquer son
bateau See Watch 3 à Lampedusa malgré l'interdiction, après plus
de deux semaines bloquée en mer par les pays européens. Cela a mis
une nouvelle fois le projecteur sur ce qui se passe en Méditerranée,
et sur le rôle de la Libye et de nos États européens.
C'était
justement le thème donné au cercle de silence pour son onzième
anniversaire, le 30 avril dernier. La prise de parole au début du
cercle donnait des détails pas si médiatisés sur toute cette
affaire. C'est
l'occasion de la reproduire par écrit.
Il n'y aura pas de cercle ce 30 juillet (prochain cercle le 30 août).
À la
place, faites circuler ce message !
Les
cercles de silence ont été lancés en 2006 par les franciscains de
Toulouse. Leur but : faire connaître ce qui est
fait à des étrangers,
en notre nom mais loin des regards, notamment dans les Centres de
Rétention. Par
le silence, inviter chacun et chacune à se questionner :
l'acceptons-nous ? À Strasbourg, ils se tiennent depuis onze
ans : avril 2008.
Je
vais dire un mot de la rétention parce que
c'est l'origine et qu'il
y a une chose importante à dire à son sujet, puis passerai au
thème principal de ce soir : la
Libye et la Méditerranée.
Depuis
2007,
la durée de rétention, cette prison-en-attendant-l'avion pour les
personnes visées par une Obligation de Quitter le Territoire, a été
deux fois augmentée : de 30 à 45 jours puis, depuis janvier
2019, 90 jours. Le but officiel est d' « accroître
l'efficacité des reconduites ». En
pratique, environ 90 % d'entre elles ont lieu dans les 30
premiers jours, et dans un cas sur deux, la personne enfermée se
révèle non expulsable. Enfermer deux mois de plus ne sert à rien,
qu'à enfermer. Être séparé de sa vie et de ses proches, dans des
lieux exigus, bondés, sans intimité, avec pour seul accès au grand
air une cour grillagée de partout, un
accès aux soins limité ou inexistant, et
avec strictement rien à faire pendant trois mois.
Mais
pour ce onzième anniversaire, nous mettons l'accent sur une chose
semblable qui est faite
à des étrangers, loin des regards et en notre nom : c'est
la
Libye entière qui est devenue un « camp de concentration à
ciel ouvert, financé par l'Union Européenne »,
selon
le mot du maire de Palerme.
La
Méditerranée en
est
la
gardienne
meurtrière.
Pardon
je vais être un peu long mais il n'y a pas le choix, pour décrire
vraiment la situation. Déjà,
je vais redire ce qu'est la Libye pour les étrangers. C'est connu,
mais pas tant répercuté. Les
témoignages s'accumulent : les
étrangers en Libye vivent l'enfer.
Je
ne citerai qu'une longue mission
de
l'ONU
(2018)
décrivant
des « horreurs inimaginables ». Pardon,
ça va être pénible. Les
étrangers
sont
entassés
dans des prisons sordides, mal nourris, sans soins.
Là
ou ailleurs, ils sont torturés, violés
vendus
comme esclaves, ou tués à discrétion
—par
les autorités, ou par
n'importe
qui.
Je
cite le rapport :
« Ils
sont à
la merci d'innombrables prédateurs qui les considèrent comme des
marchandises à exploiter et à extorquer »,
« L'écrasante
majorité des femmes et des adolescentes » déclare
avoir été « violées par des passeurs ou des trafiquants ».
«D'innombrables
migrants et réfugiés ont perdu la vie en captivité tués par des
passeurs, après avoir été abattus, torturés à mort ou tout
simplement avoir été laissés mourir de faim ou de négligence
médicale».
«Dans
toute la Libye, des corps non identifiés de migrants et de réfugiés
portant des blessures par balle, des marques de torture et des
brûlures sont fréquemment découverts dans des poubelles, des lits
de rivière asséchés, des fermes et le désert.»
Et
la Libye est en guerre. Mi-avril,
des belligérants à l'assaut de Tripoli sont entrés dans une de ces
prisons à étrangers et ont ouvert le feu, gratuitement. C'est un
crime de guerre. Des étrangers sont enrôlés de force dans une
armée
ou l'autre.
Enfin,
les Libyens rapatrient systématiquement chez
eux les
occupants de bateaux de fortune secourus ou interceptés en
mer.
Le
journaliste irlandaise Sally Hayden, qui a rapporté des témoignage
un
centre où les gens sont torturés, indique que la majorité d'entre
eux sont des gens qui ont déjà fui la Libye en bateau ces deux
dernières années, et y ont été ramenés. Elle
souligne aussi dans un article de l'Irish
Times
que de nombreux enfants sont parmi eux, parfois nés en Libye.
Que
font les États de l'Union Européenne ? Depuis 2015, ils
donnent à la Libye les moyens financiers,
techniques
(bateaux, « formation » des garde-côtes, centre de
coordination naval…) et
juridiques de retenir encore
mieux
les gens qui veulent la fuir, pour
l'Europe.
Avec leur aide, ce
pays a fait reconnaître internationalement (juin
2018) une
vaste zone au large de ses côtes, où il est désormais
responsable
de coordonner les
secours. (la
plupart des états côtiers ont une telle zone enregistrée à l'ONU.
Pour cela, il faut faire état d'avoir le matériel, le centre de
coordination à terre, et les moyens humains nécessaires : nous
les leur avons donnés ; plus
de 200 millions € ont été dépensés par
l'UE).
Depuis,
quand il ne laisse
pas
des
bateaux couler,
ce
qui arrive, il
ordonne aux navires privés
ayant secouru des
naufragés
de les
débarquer
chez lui.
Ces
ordres sont illégaux, le
Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU l'a
répété avec insistance :
car le débarquement doit se faire en
lieu sûr.
Mais
il n'y a aucun recours.
Ce
Haut-Commissariat appelle nos États à modifier leur action. En
2017 et 2018, 29 000 personnes ont été ainsi ramenées de force en
Libye.
J'ajoute
une remarque pour être clair : dès
avant la reconnaissance de la zone de
secours libyenne,
les Libyens avaient déjà menacé d'ouvrir le feu sur un bateau
associatif, interdit à un autre de procéder à un sauvetage, et
coulé un bateau en détresse sur lequel restaient des occupants dont
un petit enfant.
Nos États savaient très bien ce qu'ils faisaient en aidant les
Libyens.
Si
tout ça est ignoré, nos États continueront d'avoir les mains
libres.
Parfois,
des naufragés sont cependant recueillis hors des griffes libyennes.
Pendant
des années, ils
ont
été
débarqués
en
Italie et à Malte. Ces
pays, laissés
soigneusement
seuls
par les
autres États européens pour accueillir ces
gens, refusent désormais
tout débarquement. Et
tous
nos
États empêchent par
tous les moyens
les rares bateaux associatifs de secourir
ou de débarquer des
naufragés (retrait
d'immatriculation, poursuites judiciaires fantoches, interdiction de
naviguer dans la zone problématique etc. Jusque six bateau ont été
ainsi simultanément bloqués à terre).
Rien
que depuis 2014, plus de 17000 personnes sont mortes en Méditerranée
selon le recensement de l'Organisation
Maritime Internationale.
Bref :
que les gens se noient ou soient esclaves en Libye, tout est bon,
pourvu qu'ils n'arrivent pas ici et qu'on n'en parle pas.
Il
ressort une question de cela : sommes-nous
devenus fous ?
Note.
Le
New
York Times
s'est procuré une vidéo d'un « sauvetage » par une
vedette libyenne et l'a précisément commentée : https://www.youtube.com/watch?v=dcbh8yJclGI.
Pour comprendre ce qui se passe, elle est un document à voir
absolument. Et aussi :
documentaire
Arte
visible
jusqu'au 29 mai
Libye,
retour en enfer.
De
petites faits ont été lus au cours du cercle.
1.
Il
y a dans le monde 68,5 millions de personnes déracinées pour
échapper à un conflit ou à la persécution; parmi elles 25,4
millions sont réfugiés dans un autre pays que le leur (chiffres
HCR).
la France accueille seulement 165 000 personnes avec le statut de
réfugié. Il
y en a 3,5 millions en Turquie, 1,4 millions en Ouganda.
2.
De
l'écrivain
Laurent
Gaudé, écrivain,faisant parler une colonne de migrants
"
Quand avons nous perdu ce qui nous donnait lumière et vie?
Quand
sommes nous devenus si silencieux et si dociles à la peine?
Nous
sommes arrêtés,
Dans
nos vies, nos cœurs,arrêtés blessés.
Quand
quitterons nous la nécessité?
Aurons
nous des noms à nouveau, des histoires, des voix?
Aurons
nous de l' espace autour de nous et un avenir au bout de nos pas?"
3.
Reportage d'Arte. La journaliste est dans un bateau associatif
qui reçoit un message des garde-côte- libyens présents pendant un
sauvetage. "Remettez-nous les migrants. On doit les ramener en
Libye. Si vous ne venez pas, je vous tue" : voilà comment le
commandant d'un bateau garde-côte libyen, chargé de "coordonner
les secours" entend empêcher un sauvetage par un bateau
associatif.
4.
Interrogé par une journaliste, un réfugié érythréen du camp
de Daher al-Jabal en Libye : “Does the world have eyes? Tell
the world we are humans, not animals. We need help,”
5.
Jacques Toubon, Défenseur des Droits : « On traite les
migrants comme une pathologie. Ce n'est pas une pathologie, c'est le
mode de fonctionnement du monde.
La
thèse de l'appel d'air appuie toutes les politiques de restriction
de l'immigration et des droits des migrants.
Aucune
étude au monde n'a démontré que l'appel d'air existe.
Il
faut ouvrir les droits de l'immigration légale. Nous avons la
possibilité d'accueillir.
Les
réfugiés en Europe représentent aujourd'hui 0,25% de la
population. Nous avons les moyens de les accueillir. »
6.
En 1979, la France a accueilli d'un coup plus de 120 000 réfugiés
vietnamiens, cambodgiens et laotiens fuyant la guerre. Comme nous
avons changé !
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