Prochain cercle de silence de Strasbourg
jeudi 30 juillet, 18h-19h, pl. Kléber.
Rejoignez-le, même quelques instants.
Ce
qu'il y a de plus scandaleux dans le scandale c'est qu'on s'y
habitue. S. de Beauvoir (source
ici).
En
préparant ce message nous pensions évoquer trois choses : une
nouvelle condamnation de la France par la CEDH, l’enfermement des
enfants, toujours renouvelé, et les audiences vidéo, ou carrément
non-audiences, en centre de rétention.
Mais
contemplant le lot quotidien du (non-)droit des étrangers ce mois de
juillet, il apparaît qu’un grand jeu-concours de la saloperie
de l’été serait peut-être plus adapté. Installez-vous,
faites votre choix : auquel de ces douze méfaits
attribueriez-vous le titre de la pire saloperie de l’été ?
Faites jouer vos amis, vos proches ! Enfin contemplez ceci :
ils ne sont qu’une sélection, vingt-six jours ont suffi pour les
récolter, et cette
pluie dure toute l’année. Que nous arrive-t-il, pour que tout ceci se poursuive tranquillement ?
Le
gouvernement et de nombreux parlementaires et élu.es ont récemment
argué de leur attachement à l’État de droit pour défendre
certains des leurs. On peut aussi contempler ce qui suit à cette
lumière. Ou leur en proposer la lecture.
1.
L’administration sépare trois mères de leurs (très
très) jeunes enfants vivant en France et les enferme
seules au CRA de Toulouse, s’apprêtant à les expulser.
2.
« Je ne dors pas, je ne mange pas. Je suis le plus petit
ici, tout le monde est plus grand que moi. Pourquoi je suis ici ? »
(un enfant de
14 ans enfermé au CRA de
Coquelles depuis le 3 juillet). La France enferme des
centaines d’enfants, seuls, en rétention. C’est
grave et complètement illégal. Jamais un enfant ne peut être
enfermé seul. Le moyen ? Les déclarer majeurs. 239 cas en 2019
en métropole. Abracadacra !
extraits
en accès libre ici
https://www.infomie.net/spip.php?breve5840&lang=fr
3. À
Mayotte, comme souvent, a lieu la version au bulldozer de
ce qui précède : la police falsifie simplement les
documents. Une fille de quatorze ans ? Effaçons,
écrivons vingt. Et enfermons. Streetpress
a pu ainsi consulter une
dizaine de procédures falsifiées.
Un parent se présente-t-il ? « Alerté par des
connaissances, son père s’est présenté plusieurs fois devant le
CRA pour essayer de prouver la minorité de sa fille. La police lui
barre la route. ‘C’était dur, à chaque fois les policiers me
chassaient’ ». Pour
un lycéen de 17 ans enfermé
et expulsé après une falsification, et devant passer le BEP quinze
jours après, le tribunal a
dû ordonner au préfet
de le faire vite revenir.
Nous rappelons que ces faux
sont un crime qui se juge aux assises. Nous parions qu’après ces
révélations il n’y aura bien entendu même pas de poursuite.
Dans
un cas de 2013 où un père, en situation régulière sur l’île,
se présentant au CRA avec les certificats nécessaires, avait été
refoulé, la France a été condamnée de façon cinglante le 25 juin
dernier pour 6 motifs simultanés, dont « traitement
dégradant » par la CEDH.
4.
Avec l’épidémie, la loi prévoit des possibilités dérogatoires
pour rendre la justice, à la discrétion des juges. Les personnes
en rétention payent plein pot : en majorité, depuis le début
de l’état d’urgence sanitaire, leurs affaires sont jugées à
distance, par visioconférence, par téléphone voire sans audience.
Tant pis pour la publicité des audiences, le lien
avocat(e)-client(e), sa confidentialité et les droits de la défense,
l’interprétariat, la qualité parfois très mauvaise de la vidéo
etc. La pratique va même plus loin : aux CRA de Hendaye
et Oissel des audiences illégales sont organisées dans des locaux
de police.
5.
Il est impossible pour des milliers de personnes de prendre
rendez-vous en préfecture pour toute affaire concernant les titres
de séjour. Depuis des mois. Et personne ne bouge le petit
doigt. Le mode d’action est très simple : 1° vous
devez prendre RV par internet. 2° sur le site aucun RV n’est
disponible. Le Défenseur des droits alerte :
« [Je
suis] saisi de très nombreuses réclamations de personnes
étrangères ne parvenant pas à déposer de demande de titre de
séjour ou de renouvellement du fait des procédures
dématérialisées imposées par certaines préfectures. Dans
certains départements, la saturation des plannings de prise de
rendez-vous sur le site internet contraint les personnes à se
connecter chaque jour pendant plusieurs mois avant d’obtenir un
rendez-vous. Ces personnes sont
ainsi exposées au risque d’être interpellées puis
éloignées du territoire à tout moment et subissent des ruptures de
droits sociaux ou perdent leur emploi. Ces décisions d’organisation
des services constituent une atteinte inacceptable au droit à l’égal
à l’accès aux services publics et une entrave au droit au respect
de la vie privée et familiale. Par décision n°2020-142, je
formule plusieurs recommandations au ministre de l’Intérieur et
lui demande de rendre compte des suites données à celles-ci ».
Bien
sûr c’est illégal et on peut contraindre les préfectures à
donner un RV : en prenant un(e) avocat(e), rassemblant les
preuves, cas individuel par cas individuel, et en saisissant le
tribunal administratif. Merveilleux.
NB :
bravo à La Cimade qui a contribué à documenter les faits par son
robot preneur de RV qui se connecte aux sites des préfectures (et
que l’administration a essayé d’empêcher d’établir ce qui se
passe).
6.
La même chose se produit pour la demande d’asile. La
procédure pour se déclarer, très complexe, est en plusieurs
étapes ; faute de personnel elle est engorgée, à
chacune des étapes. Alors les gens restent en situation
irrégulière, expulsables, à la rue, parfois avec enfants,
sans aucune ressource, droit social, ni droit de travailler.
Pendant des semaines, des mois, et alors que le droit français
et européen impose des délais brefs et précis à l’administration.
Une
préfecture octroie quelques entrées sans RV. La file, de plus de
100m, se forme depuis minuit, pour
40 entrées par jour. « On ne comprend rien, dit X
dans un français irréprochable. Il faut appeler pour avoir un
rendez-vous, mais personne ne répond. On n’a pas d’argent pour
vivre, comment peut-on acheter du crédit pour appeler toute la
journée un numéro qui ne répond pas ? Alors on vient ici, mais
personne ne nous ouvre. C’est comme ça tous les jours ».
« C’est infernal ce qui arrive dans notre pays. Les gens ici
pensent qu’on le quitte par gaieté de cœur ? Nous fuyons
parce que nous ne sommes pas en sécurité. [Sinon] nous resterions
là-bas car nous y serions plus heureux, c’est notre culture et
c’est chez nous. » Y : « On dort dans la rue, dans
des parcs ou parfois à l’hôtel. Ces deux premiers mois en France
ont été horribles. ». 23000 personnes sont concernées.
7.
Peut-être faudrait-il une décision de justice de portée générale
pour que cela cesse ? Dans l’immédiat, même pas : la
France vient d’être condamnée le 2 juillet dans
des cas semblables (de 2013) par la Cour Européenne des
Droits de l’Homme pour un des motifs les plus graves, traitement
dégradant : « les autorités françaises doivent être
tenues pour responsables des conditions dans lesquelles ils se sont
trouvés pendant des mois, vivant dans la rue, sans ressources, sans
accès à des sanitaires, ne disposant d’aucun moyen de subvenir à
leurs besoins essentiels et dans l’angoisse permanente d’être
attaqués et volés » ; les requérants doivent être regardés
comme « victimes d’un traitement dégradant témoignant d’un
manque de respect pour leur dignité ». Peut-être faut-il
conseiller au gouvernement des « vacances apprenantes »
pour apprendre à lire ?
Ah,
nous oubliions : le Conseil d’État, à l’époque, avait
rejeté la demande sans même d’audience.
Commentaire
détaillé (pointant des aspect critiquables de l’arrêt) d’une
professeure de droit ici
https://journals.openedition.org/revdh/pdf/10408
8.
Depuis le 30 juin une centaine d’adolescents sont installés
bien visibles sous des tentes dans un square du 11e
arrondissement de Paris. Légalement, ils doivent être scolarisés
et pris en charge immédiatement par l’Aide Sociale à l’Enfance
(départements, à qui l’État refuse les moyens nécessaires).
« Quand on est arrivé, on s’est fait une réflexion : le
pire, ce serait qu’il ne se passe rien. On n’y croyait pas, mais
c’est le pire qui est en train de se produire » dit une
responsable associative. « Ils sont tous épuisés par leur
parcours et prêts à tout, et comme ce sont encore des
adolescents ils sont très influençables. Lorsqu’on perd leur
trace, on sait qu’on ne les reverra peut-être jamais. »
Seules
les associations sont présentes, payent des hôtels, essaient de
trouver des hébergements bénévoles. Tous les ministères et
services sollicités se taisent.
Ce
sont des enfants. Abandonnés. Ce n’est pas comme si la France
avait été déjà condamnée
le
28 février 2019 par
la CEDH
pour un tel abandon (dans
des circonstances en outre très graves).
9.
Le nouveau ministre de l’Intérieur Darmanin s’est très vite
rendu à Calais. Pour son arrivée, la police a délogé
environ 800 personnes et déplacé 519
loin
ailleurs en France. Ce harcèlement sur ordre est
quotidien, mais cette fois l’association Care4Calais rapporte
l’éviction « la plus dure à Calais depuis
2016. La police a tout pris aux exilés
—tentes, sacs de couchage, habits, nourriture. Des centaines
de personnes ont été déplacées à l’autre bout de la
France. Samedi 11 juillet elle est revenue, aspergeant les gens de
gaz lacrymogène (c’est illégal) et mettant feu aux tentes. »
Le journal 20 minutes
rapporte qu’une des conséquences a été que des gens se
sont retrouvés pendant cinq jours sans eau ni nourriture.
Le ministre, lui, n’a daigné rencontrer aucune de ces personnes,
ou des associations qui les aident : seulement son homologue
britannique « pour renforcer les moyens de sécurité »
(de qui ? Qui est
un danger pour qui au juste depuis vingt ans à Calais ? Les
exactions policières sont inlassablement rapportées)
et « lutter contre l'immigration illégale (=organiser des
services de renseignement) », et féliciter
la police « qui réalise
un travail exemplaire dans un contexte difficile » (c’est
beau le langage on peut faire
des phrases).
(source
ici)
Ah,
à propos de « travail exemplaire » et de « renforcer
les moyens de sécurité ». En 2018 des policiers avaient
arrêté (29h de garde à vue) et fait poursuivre pour « violence
et outrage sur personne dépositaire de l’autorité publique »
un bénévole associatif, Thomas Ciotkowski, qui filmait leur action
et leur demandait de respecter la loi (qu’ils enfreignaient). Lors
du procès en juin 2020, une vidéo des faits a disculpé cette
personne, montré les faux réalisés et le mensonge organisé des
policiers, qui au contraire ont poussé ce bénévole sur la route.
Un camion est passé tout près, T. Ciotkowski n’a dû sa vie qu’à
la chance. Mais continuez : le ministre félicite.
https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/10/violences-policieres-des-images-ont-permis-a-la-justice-de-blanchir-un-benevole-de-calais_6042338_3224.html
Candidement,
le préfet du Pas-de-Calais Fabien Sudry justifie : « Nous
sommes déterminés à éviter la reconstitution de bidonvilles et
c’est pour ça que nous intervenons (=harceler, voler, blesser,
déloger, épuiser, sans cesse). Est-ce qu’il y a une autre
alternative ? » Accueillir ? Ouvrir des voies légales
de demande d’asile au Royaume-Uni, octroyer des titres de séjour
aux personnes acceptant de rester en France ? Ces gens sont
juste des êtres humains, pas des problèmes ou des ennemis. Pardon
nous nous égarons.
10. Un arrêt du 8 juillet du Conseil d’État le confirme : à Menton, les refoulements sempiternels vers l’Italie de personnes demandant l’asile sont illégaux. Mais rassurez-vous, rien n’empêche la police de continuer ! Dans le cas présent, la personne (avec un enfant de 5 ans ayant une sonde à l’estomac) a été refoulée le 14 mai. Le 8 juillet, le Conseil d’État juge que c’était illégal. Et alors ? Et alors rien, la personne est en Italie, ce qui est fait est fait. C’est beau le droit.
L’Anafé
témoigne : « en deux journées seulement, ces
lundi 6 et mardi 7 juillet 2020, nos observateurs présents sur le
terrain à Menton ont déjà recensé 83 personnes qui ont été
refoulées par la France vers l’Italie. »
L’État
accorde une grande importance à son action illégale là-bas :
le nouveau ministre de l’Intérieur, dès sa nomination, est
allé féliciter la police de Menton « engagée jour et
nuit pour lutter contre la criminalité, les trafics et l’immigration
irrégulière. Respect et confiance en ceux qui assurent la sécurité
des Français. » (source
ici).
Il
ajoute comme d’habitude le mensonge d’extrême droite évoquant
la « criminalité, la sécurité des Français » dans
cette histoire de migration et de demandes d’asile qui n’a rien à
voir. C’est au contraire la chasse aux personnes étrangères qui
les pousse à se mettre en danger : il y a eu plusieurs morts
ces dernières années.
11.
En Grèce des personnels de sécurité (police ou apparentés) et
des gens en civil ont attaqué, enfermé, agressé sexuellement,
volé, dévêtu des personnes qui venaient de
franchir la frontière depuis la Turquie, puis les ont
refoulées. Des personnes blessées par balles ont été
hospitalisées. Interrogés le 7 juillet en Commission Justice du
Parlement Européen, trois ministres grecs n’ont rien répondu et
Frontex, l’agence européenne finançant la Grèce pour ses
opérations frontalières, regarde ailleurs (source
ici).
12.
Une vendange en Champagne, et le procès qui a suivi, le 5 juillet,
nous rappelle qu’une des conséquences du maintien de nombreux
étrangers ou étrangères dans l’irrégularité, c’est
l’esclavage. Dans un bâtiment servant de « logement » :
« une odeur insoutenable règne à proximité des sanitaires au
premier étage du bâtiment. Nous pouvons difficilement poursuivre
notre contrôle tant la puanteur dégagée soulève le cœur. »
rapportent les policiers. Ailleurs, les travailleurs (recrutés à
Paris) étaient entassés directement dans le pressoir. Peu nourris,
il devaient attendre une heure du matin pour que les gérants leur
apportent à manger. Certains s’endormaient avant sur leur matelas
de fortune, le ventre vide. « Le plus dur, c’était la
fatigue. On avait mal partout, au dos, aux mains, mais surtout on ne
dormait pas beaucoup », « même les passeurs nous
traitaient mieux que ça ».
Combien
de
cas semblables ne sont-ils jamais révélés ?
https://www.liberation.fr/france/2020/07/05/esclavage-moderne-en-champagne-meme-les-passeurs-nous-traitaient-mieux-que-ca_1793385
Et, avec l’épidémie et la fermeture de nombreuses frontières,
les enfermements en rétention illégaux car sans perspective
d’expulsion continuent, engendrant des comportements désespérés.
Mais nous en avions parlé en avril.
Le cimetière méditerranéen, la Libye, et la fermeture de nos États aux réfugiés s’en échappant sont hors-concours.
Ici un bateau en détresse depuis ce matin 26 juillet avec 95
personnes dont 30 enfants, une mère et son bébé de 1 an. Personne
ne fait rien, une association de veille téléphonique alerte en
vain. À l'heure où nous écrivons ces lignes le bébé risque de mourir très vite de soif. Le bateau n'en a plus que pour quelques heures.
Bon été.
P.S.
Un ministre a récemment parlé d’« ensauvagement ».
Sauf erreur de l’auteur de ces lignes, le terme a été créé par
Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme :
l’ensauvagement du colonisateur par sa propre violence. Voyez
l’effet en remplaçant
ci-dessous par
exemple tête coupée par bateau laissé sombrer, œil
crevé par tente et sac, seuls
biens
détruits, fillette violée par fillette
renvoyée en Libye, ou
séparée de sa mère enfermée en rétention pour être expulsée,
Malgache supplicié par réfugié laissé à la rue des mois sans
rien ni aucun droit (cela
tue aussi ; il y a eu des morts, deux récents à Strasbourg)
etc.
Et
jactance étalée par les félicitations ministérielles et ses
revendications de lutte contre le crime. En
voilà une
des réalisations, de
notre
ensauvagement.
« Il
faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à
déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à
le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la
convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme
moral, et montrer que chaque fois qu’il y a au Viêt-nam une tête
coupée, et un œil crevé et qu’en France on accepte, une fillette
violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en
France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de
son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une
gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et
qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges
propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous
ces prisonniers ficelés et « interrogés », de tous ces
patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de
cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines
de l’Europe et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du
continent. » Aimé
Césaire, Discours sur le colonialisme,
1950.
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