Prochain cercle de silence de Strasbourg
samedi
30 novembre 2017, 18h-19h place Kléber.
Rejoignez-le, même juste un moment.
Nous
publions ce mois-ci le
témoignage d'Olivier Brisson, avocat plaidant devant la Cour
Nationale du Droit d'Asile (CNDA).
Il avait été invité à le donner à l'Assemblée Générale de
CASAS de juin 2017 : découvrez
un lieu-clé de notre système d'asile et son (dys)fonctionnement.
Nous
ajoutons cependant des informations ponctuelles. En effet, nous
achevions notre dernier message par : « demain sera
pire ». Nous ne croyions pas si bien dire, et dans un délai si
bref : le déchaînement de violence contre les étrangers
s'aggrave. Nous en donnons quelques aspects, loin d'être exhaustifs
(nous ne parlons pas de la circulaire Collomb de novembre dernier…). Le texte d'O. Brisson est plus bas.
Nous
signalons aussi l'ouverture du compte
twitter du cercle de silence de Strasbourg : si vous en avez
un et souhaitez suivre notre actualité,
abonnez-vous !
La
violence contre les étrangers se déchaîne. Par l'action de
l'administration ou de la Justice, déjà :
– Le
journal le Monde décrit les différents aspects d'« une
politique migratoire d’une dureté sans précédent »
(lien pour abonnés, début de l'article en accès libre). Ici
un entretien
avec l'historien Patrick Weil, montrant un parallèle entre
l'action de Macron et de Trump envers les étrangers, et
là un communiqué
du Défenseur des Droits, et là enfin la réaction d'un député
de la majorité réagissant contre l'action du gouvernement. Il
rappelle notamment qu' « en termes de volumes, il y a des
niveaux migratoires qui sont absorbables et même souhaitables pour
la société française », loin des fantasmes créés par les
images sans cesse retransmises.
Plus
globalement, vous trouverez ici les réponses
de la journaliste spécialisée du Monde,
Maryline Baumard,
aux questions d'internautes sur le « plan d'action » sur
les immigrants.
– Le
Gouvernement prévoit
par circulaire d'effectuer des contrôles
dans l'hébergement
d'urgence pour y
identifier
les personnes sans titre de séjour.
À cette
annonce, les associations gestionnaires de cet hébergement ont
quitté le ministère de l'Intérieur
lors de la réunion convoquée à ce sujet. L'accueil est
inconditionnel, sans quoi il n'est pas : cette mesure risque
« d'entraîner
un important non-recours à l'hébergement d'urgence par les
personnes en situation administrative précaire et la constitution de
bidonvilles et de squats »,
dénoncent
trois anciens ministres dans une lettre au Président. Cette
atteinte est inouïe, et va contre la loi qui prévoit un accueil
sans condition. « Conditionner
ce droit fondamental à la situation administrative […]
relève d'un tri inadmissible qui attente aux droits fondamentaux de
la personne humaine ». Concrètement,
en hiver, cela veut dire des morts. Voir
ici
le résumé du problème par la Cimade, qui avec 25 associations
a saisi le Défenseur des Droits. Une
pétition
au président a
aussi été
ouverte.
– Les chiffres 2017 sont connus. Le
nombre d'enfants
enfermés en rétention explose :
40
en 2013, 250 en 2017. C'est un traitement « inhumain et
dégradant » et donc illégal, comme l'a jugé en
2012, puis
cinq
fois en 2016 la Cour Européenne des Droits de l'Homme, saisie
contre la France. Après
la condamnation de 2012, l'administration
avait
nettement diminué ces enfermements (graphique),
sans pourtant les arrêter. En 2016-17 elle n'en tient aucun compte
et s'achemine vers le record atteint par B. Hortefeux en 2010.
– Le
21/12 un
adolescent est mort à Calais,
fauché par une voiture sur l'autoroute. Il avait environ quinze ans.
Voilà où mène la traque policière. Voir ici
un
mini-témoignage sur
l'hommage que lui ont rendu ses compagnons de malheur, par
une
bénévole
active à Calais.
« Je
te souhaite d'être protégé de la douleur » lui écrit un
autre enfant. Dans
les Alpes à
la frontière italienne, de même la fermeture de la frontière et la
chasse aux étrangers a
failli tuer.
Elle risque de le faire pour de bon si rien ne change.
– La
liste des personnes poursuivies
et condamnées
pour être venues en aide à des étrangers en
détresse s'allonge.
– Comme
le montre un
récent exemple à Strasbourg, c'est souvent sur la solidarité
locale que repose l'accueil
des réfugiés, faute d'action de l'État.
– Une
photo récente montre l'« accueil » par la France
d'enfants arrivés sur son sol. Livrés à eux-mêmes, ils ont trouvé
un peu de chaleur : dans
des tambours de machine à laver. Vous pouvez lire ici une brève comparaison avec l'Allemagne.
–
Avec
les autres États de l'Union Européenne, la France exerce un
chantage financier
sur les États africains
pour leur
sous-traiter son action de fermeture des frontières. Nous
exportons notre xénophobie.
– Et,
à bas bruit, « la
Méditerranée détient le triste record du plus grand cimetière de
migrants au monde.
Trois décès de migrants sur quatre ont lieu ici. » (citation
et chiffres
ici,
2300 morts officiellement recensés au
1er
semestre
2017). C'est notre responsabilité directe.
Par
la loi ensuite, l'État prévoit aussi deux
mesures graves et absurdes
dans sa prochaine loi réformant pour la nième
fois le droit des étrangers :
– Il
veut allonger de 45 à 90 jours la durée maximale de la rétention
administrative. Cependant la quasi totalité des « éloignements »
ont lieu dans les 12 premiers jours. Il
ne s'agit donc pas d'augmenter l'« efficacité des
reconduites ». Les
cercles de silence le répètent, la rétention est une grande
violence (voir
par exemple les nombreuses tentatives de suicide au CRA de Marseille,
et hélas la récente mort
d'un retenu).
Or
« Les
centres de rétention deviennent des centres de détention et sont
indignes de notre République »,
dénonce Sonia Krimi, députée LREM, lors d'une question à G.
Collomb.
– Il
veut permettre le placement en rétention des demandeurs d'asile placés en « procédure Dublin » : la procédure européenne permettant leur renvoi dans le premier
pays de l'UE où leur passage a été enregistré. Il s'agit d'un changement de nature très grave de la
rétention. Celle-ci est prévue uniquement (la loi insiste) pour
empêcher la fuite d'une personne visée par une Obligation de
Quitter le Territoire, strictement pendant le temps nécessaire pour
organiser cette expulsion. Or une procédure « Dublin »
est très longue et hasardeuse. En 2016 par exemple, environ 26000
telles procédures ont été ouvertes, pour
environ 14000 accords et 1300 expulsions effectives.
Quelle folie nous pousse à enfermer pour enfermer ? Les
étrangers ne sont pas des ennemis.
Nous
ajoutons que, en réduisant les étrangers à l'errance, au
dénuement par refus de tout statut, à un
voyage long et dangereux par refus de visas, l'État entretient
l'image que nous sommes submergés par une vague de misère. Ce
n'est pas le cas. Cette misère, en
grande partie nous la créons.
Olivier
Brisson, avocat , juin 2017.
[Note
du rédacteur (toutes en italique dans le texte). Quand un étranger sollicite en France le statut de
réfugié, prévu par la Convention de Genève de 1951, il
s'adresse à l'administration chargée d'y
apporter une réponse, l'OFPRA : Office Français de Protection
des Réfugiés et Apatrides. En cas de refus, un recours en justice
est possible, comme pour toute décision d'une
administration. Il n'est cependant pas traité par les
Tribunaux Administratifs, mais par une juridiction spécialisée
unique pour toute la France, la Cour Nationale du Droit d'Asile
(CNDA), siégeant à Montreuil à côté de Paris.
La
description qui suit décrit le travail de son auteur, Olivier
Brisson, et son point de vue sur la Cour, donnés à l'Assemblée
Générale de CASAS où il était invité en juin 2017. Elle n'est pas un verbatim mais une retranscription
la plus fidèle possible la prise de parole, validée ensuite par O.
Brisson.
Note :
le célèbre avocat blogueur Maître Eolas, qui plaide aussi devant
cette Cour, a décrit sa propre expérience : voir
« Asile :
un exploit par dossier ».]
Je
suis devenu avocat il y a dix ans, après trente-cinq ans d'une autre
vie professionnelle (école de Commerce, direction d'entreprise).
J'avais par ailleurs toujours été militant associatif (Comité
contre l'Esclavage Moderne).
Devenant
avocat, je pensais faire du droit pénal et du droit du travail. J'ai
fait du droit du travail. Puis un jour, j'ai effectué une permanence
dans un « bus du Droit » : 80 % des personnes
nous sollicitant étaient des étrangers, dans la panade
administrative. Je me suis alors inscrit sur une liste d'avocats
acceptant de travailler dans ce contentieux pour l'aide
juridictionnelle (=prise en charge —modique— par l'État des
frais de défense en justice pour les personnes en-dessous d'un
certain seuil de revenu).
Pour
préparer des recours devant la CNDA je me suis alors mis à voyager
en France, avec une collaboratrice. Quand je reçois une personne
voulant déposer un recours, je lui explique déjà le fonctionnement
de la Cour, et quels sont les détails importants à lui dire :
si vous avez fait de la prison, combien de temps et où ;
comment sont les lieux, comment y fait-on pipi etc. Les
juges ont besoin de savoir, pour être sûrs que vous y étiez.
Dans
certains dossiers, les requérants racontent n'importe quoi, mais
j'estime à environ 70 % la proportion de dossiers très
solides. [Cette proportion est
donnée parmi des dossiers ayant déjà essuyé un refus de l'OFPRA.
Ce dernier oppose environ 75 % de refus, dont ensuite environ
90 % font l'objet d'un recours à la CNDA. La proportion
initiale de dossiers jugés solides par les défenseurs est donc
beaucoup supérieure, d'une façon recoupant l'estimation que j'ai
recueillie auprès d'autres personnes travaillant auprès de
demandeurs d'asile.] Cependant,
la Cour ne juge favorablement que 15 % des recours ; cela
aboutit à un taux de protection global (OFPRA puis CNDA) d'environ
un tiers.
La
chose la pire devant la CNDA est l'aléa du juge.
La cour est divisée en dix-neuf formations de jugement, comprenant
chacune trois juges [Le président
est un magistrat nommé par le Conseil d'État, la Cour des Comptes
ou le Garde des Sceaux, chacun dans l'ordre de juridiction dont il
est responsable ; un assesseur est nommé par le Haut Comité
des Nations Unies pour les Réfugiés et l'autre par le Conseil
d'État. La composition de chaque formation peut varier, les juges
étant nommés à la Cour, pas dans une formation particulière].
Chaque jour, dix-sept ou dix-huit formations siègent. Si on tombe
sur certains présidents, on n'a pas la moindre chance, quel que soit
le dossier. On le voit dans le hall de la Cour, où sont affichées
les décisions. Président Untel : 14 dossiers, 14 refus, et
ainsi systématiquement. Plus largement, devant beaucoup de
formations, les avocats sont considérés comme des ennemis. La
grande diversité d'attitude des juges est vraiment un problème.
L'influence du président est importante.
Voici
un exemple. Une Albanaise d'environ quarante ans introduit un
recours. Elle est battue par son mari depuis vingt ans, a deux
enfants de dix-huit et douze ans. Après douze ans de mariage elle a
demandé le divorce. Cependant à Tirana, vivre seule est difficile.
De plus, finalement après six mois, son mari la récupère de
force ; elle vit alors encore quatre ans avec lui, cohabitant
avec sa maîtresse, après quoi elle recourt à un passeur et fuit en
France. La procédure est « prioritaire » (dossier classé
a priori comme
probablement peu fondé et jugé rapidement, à juge unique). Les
questions du juge : « Pourquoi êtes-vous venue en France,
et pas en Italie où vous avez un frère ? À Tirana, vous aviez
un magasin. Qu'en avez-vous fait ? (Je l'ai vendu pour payer le
voyage) Aux enfants : Vous auriez pu lui casser la gueule, à
votre père ! Huit jours après, la décision arrive, négative,
motif : « Réponses inconsistantes, la requérante n'a pas
répondu aux questions ». Dix jours après, la préfecture émet
une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), prévoyant
un « éloignement » en Albanie. J'interromps mes vacances
pour un recours en urgence contre elle et pour trouver une solution
d'accueil quelque part pour la requérante. Cette dernière est
restée en France, vivant cachée. Neuf mois après je croise le
juge, qui me demande comment se sont passées mes vacances. Je lui
raconte. Il n'avait aucun souvenir du dossier puis me dit : « Oh
mais c'était à juge unique c'est donc que
c'était un mauvais dossier. » [Ou comment la justice ne fait délibérément pas son travail. Ce
n'est pas très grave, les enjeux sont légers.]
J'ai écrit à la présidente de la CNDA pour lui signaler cette
phrase. Ce président est toujours en place.
Voici un autre plus petit
exemple du climat de suspicion : les requérants sont par défaut
soupçonnés d'être des tricheurs ; tout ce qui semble valider
ce soupçon est retenu contre eux. Question : « Vous dites
que dans votre pays vous êtes sortie de la prostitution. À quelle
date ? ». Ma cliente ne pouvait pas répondre à cette
question formulée de façon absurde. La Cour l'a considérée comme
une menteuse. Une personne de l'assistance a donné un autre exemple.
Question : « — À quelle date êtes-vous arrivé en
France ? — Le 31 septembre. — Cette date n'existe
pas vous êtes un menteur. » Les juges n'ont plus rien voulu
croire du requérant.
Malgré ces difficultés,
je continue de plaider devant la Cour. Un succès, ça me fait vivre.
Déroulement
des audiences. Chaque
formation de la Cour juge quatorze dossiers par jour. Vous êtes
convoqués à partir de 9h, par groupe de trois toutes les heures et
demie. La formation à laquelle vous êtes affecté dépend du hasard
et vous est connue sur place, sur le moment. À l'OFPRA, il existe
une répartition par zone géographique des officiers traitant les
dossiers, chacun se spécialisant dans une zone, pour bien la
connaître. De même, les avocats sérieux se spécialisent par pays.
Ce n'est pas le cas à la Cour. Parfois, il y a de gros retard. Ils
peuvent aboutir à en renvoi à date ultérieure, ce qui signifie,
pour les requérants, un voyage à Paris et une journée finalement
mobilisée pour rien, et beaucoup de temps perdu pour l'avocat
également. Les juges connaissent les dossiers trois-quatre jours
avant l'audience. Certains présidents les lisent, pas tous (exemple,
en audience : « Où est le Daghestan ? », puis
cherche sur son ordinateur —les juges sont chacun devant un
ordinateur). Aux trois
juges s'ajoute un
rapporteur, qui n'est pas
magistrat mais salarié de la cour ;
il prépare, en amont, un rapport sur le dossier, qu'il communique
aux juges mais pas à l'avocat et qu'il lit en début d'audience. Il
est présent au délibéré, la réunion des juges après l'audience
pour prendre les décisions, mais n'y vote pas.
Ensuite le président et les assesseurs posent des questions au
requérant, traduits par l'interprète. Tout cela dure en général
vingt à quarante minutes. À la fin l'avocat plaide. Officiellement
l'avocat n'a pas le droit d'intervenir hors de sa plaidoirie, par
exemple pendant l'interrogatoire du requérant, pourtant ce serait
utile. Peu fréquemment, le président le tolère.
J'évalue la part des
divers facteurs dans le jugement finalement obtenu comme 50 %
l'identité du président, 25 % la qualité des réponses du
requérant et 25 % la plaidoirie et le travail effectué en
amont.
Un autre gros problème
est la qualité extrêmement variable des interprètes. Certains sont
bons, d'autres incompétents. Ils sont recrutés essentiellement sur
un critère de prix et de disponibilité. Un jour, j'étais présent
avec une collaboratrice parlant la langue de plusieurs requérants de
ce jour-là. Elle m'a signalé que l'interprète racontait n'importe
quoi. Nous l'avons signalé à la présidente qui a bien voulu ce
jour-là entendre ensuite ma collaboratrice lui préciser ce qui
avait été effectivement dit.
Les assesseurs nommés
par le Conseil d'État sont souvent d'anciens préfets, diplomates ou
avocats. Certains d'entre eux se comportent comme s'ils croyaient
tout savoir et sont méprisants. Ceux nommés par le HCR sont souvent
des étudiants ou des enseignants de faculté. Une minorité d'entre
eux se montre agressive envers les requérants, cherchant par tout
moyen à montrer qu'ils mentent.
Il m'est aussi arrivé de
rencontrer des politiques, par exemple des candidats aux
législatives. Leur discours était systématiquement : il faut
accélérer les procédures pour éviter la fixation des gens en
France pendant leur long déroulement. C'est tout. Les politiques
ignorent ce qu'est la demande d'asile en France, qui sont les
demandeurs, comment elle fonctionne.
Je vois aussi, à divers
endroits de France, des associations s'occupant de demandeurs
d'asile. La qualité de leur travail est d'excellente à très
médiocre, ainsi que celle des CADA (Centres d'Accueil pour
Demandeurs d'Asile, les lieux où la loi prévoit que ces demandeurs
soient hébergés par l'État, avec suivi social de base, cette même
loi leur interdisant de travailler).
Y a-t-il des quotas ?
Demande quelqu'un. Officiellement non, la Cour juge chaque dossier
pour lui-même. Mais certains président rejettent tout, d'autres ont
un taux d'acceptation très faible. Par ailleurs certains présidents
qui octroyaient beaucoup de statuts de réfugié n'ont pas été
renouvelés.
À combien s'élève
l'aide juridictionnelle devant la CNDA ? À 480€ par dossier.
Il m'est possible de faire tourner mon cabinet ainsi, mais j'ai
démarré alors que j'étais déjà installé dans la vie, et que je
n'avais plus de grosse dépense à faire pour mes enfants. Je
n'aurais pu faire démarrer, jeune, un cabinet ainsi.
Sources des données
chiffrées et techniques :
Page
« l'OFPRA
en chiffres »
du site de l'OFPRA, consultée le 23.09.2017 et contenant les
chiffres de 2015.
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