Prochain
cercle de silence de Strasbourg
mercredi
30 octobre, 18-19h pl. Kléber.
Rejoignez-le,
même quelques instants.
Imaginez-vous
devoir vous passer totalement d'argent liquide, du jour au
lendemain ? C'est ce que le ministère de l'Intérieur a prévu
pour les demandeurs et demandeuses d'asile.
Cette
mesure est très révélatrice du fonctionnement de l'administration
envers les étrangers :
–
Annoncée par communiqué
(« la carte de débit de l'ADA évolue en une carte de
paiement »), elle est incompréhensible du grand public
(auriez-vous compris ?).
–
Elle est une pure mesure
technique, une façon d'appliquer
la
loi, à
la discrétion de l'administration, qui
rend difficile ou ineffectif l'exercice de droits minimaux
prévus par une loi pourtant déjà dure.
–
Elle est prise en notre
nom mais ignorée, sauf des gens concernés.
–
Aucune
explication crédible n'est
donnée.
– Il
s'ajoute deux bonus fréquents : 1°
l'outre-mer (ici
la Guyane) a servi de banc
d'essai pour ce droit au rabais, 2°
la généralisation à la
métropole a été décidée d'un coup (le
2 août)
par le ministère de l'Intérieur sans
aucune concertation. La
preuve, elle s'avère
inapplicable
immédiatement par
les propres acteurs qu'il mandate pour accueillir
les
demandeurs d'asile. Son
entrée en vigueur a été
repoussée du
5 septembre au 5 novembre.
Quantité
de mesures administratives, nationales ou préfectorales, voire de
simples usages des agents, partagent ces caractéristiques. Ensemble,
sans bruit, ils rendent en permanence infernale la
vie de dizaines de milliers de personnes.
Cette
mesure étant
un peu plus grosse et
scandaleuse que d'autres,
nous vous l'expliquons.
Une
personne déposant une demande d'asile en France n'a pas le droit au
travail pendant l'examen de sa demande1.
En contrepartie, l'État a l'obligation de la loger et de subvenir à
ses besoins de base (et s'en acquitte très mal mais c'est une autre
histoire). Aussi, il lui verse mensuellement une Allocation
pour Demandeur d'Asile de 6,80€/jour pour une personne seule
(majorée de 7,40€ s'il ne la loge pas). Actuellement,
il fournit une carte bancaire permettant des retraits en distributeur
(5
par mois, ensuite il y a des frais), alimentée chaque mois du montant
de l'allocation. Désormais,
seuls les paiements seront possibles : 25 par mois, et avec
frais au-delà (actualisation nov. 2019 : l'exécutif a reculé, il a enlevé cette limite). Plus de liquide ! Pour des gens en situation
extrêmement précaire, ayant besoin de multiples petits achats de
subsistance, et
se dépannant souvent mutuellement —en liquide—,
c'est
absurde.
Et
adieu aux épiceries
associatives
bon marché mais dépourvues
de terminaux pour
cartes,
adieu
aux
divers
services associatifs demandant des participations symboliques (et
faisant le travail de l'État…).
Une
justification non-dite est peut-être possible : la
surveillance électronique
des
demandeurs et demandeuses d'asile. Bien
sûr, les pauvres et les faibles doivent être contrôlés étroitement
(où irait-on ?). Mais en outre,
depuis la loi de septembre 2018, ils et elles peuvent être affectées
par l'État à une région précise, pendant l'instruction de leur
demande. Détecter si des
achats sont
effectués
ailleurs pourrait
alors être un motif de suppression de l'allocation et de tout accès
au dispositif d'accueil. (Note
après rédaction. Bingo. Nous
lisons dans cet
article du JDD, dans la bouche d'une députée LREM, que c'est
bien de « surveiller leurs achats » qu'il s'agit.)
L'OFII
(Office
Français de l'Immigration et de l'Intégration),
pressé de questions, a fini par signaler que percevoir du liquide
resterait
possible, par le « cash-back » : effectuer un
achat auprès d'un commerce, régler davantage que le prix, et
percevoir la différence en liquide. Ce
système
commence, plaide le directeur de l'OFII, à se développer en France.
Ajout du 24 nov. 2019. Depuis l'entrée en vigueur de la mesure, divers témoignages montrent sa cruauté. Parmi eux, ce lui d'une femme, reçu d'un centre de soins de la Comede : « Je ne peux même plus parler à mes enfants au téléphone. Je suis allée dans trois bureaux de tabac différents, tous refusent que je paie le rechargement de mon crédit à l'aide de ma carte de l'OFII. »
https://twitter.com/comede_asso/status/1194262705416417280
Ajout du 24 nov. 2019. Depuis l'entrée en vigueur de la mesure, divers témoignages montrent sa cruauté. Parmi eux, ce lui d'une femme, reçu d'un centre de soins de la Comede : « Je ne peux même plus parler à mes enfants au téléphone. Je suis allée dans trois bureaux de tabac différents, tous refusent que je paie le rechargement de mon crédit à l'aide de ma carte de l'OFII. »
https://twitter.com/comede_asso/status/1194262705416417280
Vous
pouvez demander le retrait de la mesure par la pétition suivante :
https://www.change.org/p/l-office-fran%C3%A7ais-de-l-immigration-et-de-l-int%C3%A9gration-non-au-changement-de-fonctionnement-de-la-carte-d-allocation-des-demandeurs-d-asile
Nous
ajoutons quelques brèves : l'enfermement
des étrangers, lui, prospère
et ne manque ni de fonds, ni de préfets et
de chefs de gouvernement pour
faire enfermer
sans scrupules.
En France, en Grèce,
en Libye. Plus
c'est loin et inhumain, mieux c'est ?
– La
semaine dernière, une
fille de quatre
ans, fiévreuse et souffrant d'une otite, a été enfermée trois
jours seule
en « zone d'attente »
à Orly. Elle y
refusait de s'alimenter. Elle
a été libérée par la justice, puis
confiée à l'Aide Sociale
à L'Enfance (source
ANAFÉ). Selon Le professeur
de droit Serge Slama, ce cas
rappelle l'existence de ces enfermements
tristement banals.
« Il y a très régulièrement des mineurs, même isolés, en
zone d’attente » et « la situation est bien plus
compliquée [encore] pour ceux qui tentent de rentrer sur le
territoire par voie terrestre, à la frontière italienne,
notamment ».
–
Mi-octobre,
un Français a été visé
par une OQTF et enfermé trois
jours en
rétention.
C'est révélateur du caractère expéditif que la machine à
enfermer et expulser peut avoir : pendons-le
enfermons
et expulsons-le d'abord,
les
juges contrôleront
la légalité
ensuite ! (Cet
homme n'avait pas sa carte d'identité sur lui. Il n'était
probablement pas bien blanc —ça commence mal— et a affirmé être
français —la police ne l'a pas cru—, né à Quito —elle l'a
cru et a coché « équatorien »—, et célibataire sans
enfant —elle a coché « aucune atteinte disproportionnée au
respect de sa vie privée et familiale » ; une
vérification minimale aurait montré que ses parents et toute sa
famille sont en France. Le Juge des
Libertés et
de la Détention a validé tout cela. Un proche a fini par apporter
sa carte d'identité. Et encore : il n'a été libéré que le
lendemain.) Si vous n'avez pas votre carte d'identité sur vous,
faites un effort : soyez blanc(he) !
–
Une
vaste rafle
de Géorgiens
a eu lieu courant
octobre en Bretagne, avec passage-éclair par le CRA de Rennes et
expulsion par charter sous la garde de quarante (40 !) policiers
géorgiens.
Il
faut lire les témoignages
que la Cimade a pu recueillir. La
violence a été incroyable.
Arrestations dans la nuit, enfants terrorisés, parents menottés,
plaqués au sol, bouches scotchées, certificats médicaux ignorés,
effets personnels soustraits arbitrairement, tabassages… Allez
vraiment lire ce qui se passe. Sachez ce que signifient
les mots policés d'un ministre « pas vocation à… »
« fermeté » « respect de la loi » etc.
–
Malte
a appelé
les
garde-côte libyens pour
qu'ils entrent dans sa
propre zone de recherche et de secours
et prennent
en charge une embarcation en détresse, le
18 octobre. (L'immense
zone libyenne, construite et déclarée grâce à l'aide des pays
européens, ne suffit donc plus à notre xénophobie).
La cinquantaine d'occupants
a été ramenée en Libye et enfermée au centre de détention de
Tarik al Sika. C'est
extrêmement grave : c'est une violation du principe de
non-refoulement, un fondement des Conventions de Genève et de la
CEDH, et une violation du droit maritime international, qui requiert
la remise en « lieu sûr » des naufragés en cas de
sauvetage. Le Haut-Commissariat aux Réfugiés de l'ONU a ouvert une
enquête visant l'État maltais. Ce cas a pu être clairement
documenté grâce à Alarm Phone,
une association de veille téléphonique en Méditerranée, mais le
HCR affirme que ce n'est pas une première.
–
Enfin,
il faut savoir ce
qui se passe dans les camps grecs,
notamment celui de Moria dans l'île de Lesbos. Ils ont été établis
sur initiative européenne, censément pour être des lieux d'accueil
provisoire et d'orientation (« hot
sports ») :
ils sont notre affaire à tous. Un témoignage les décrit comme des
« centres de concentration » : vous
pouvez l'écouter ici. 13500 personnes dont
4000 mineurs isolés, parfois très jeunes,
s'entassent, bloquées depuis des années à Moria, prévu pour 3500
personnes en séjour bref. Des
mineurs sont
réduits à se prostituer pour survivre2.
Le
silence médiatique est un scandale. La
Cour EDH a ordonné
le 24 octobre à l'État grec des mesures provisoires de prise en
charge d'une femme enceinte détenue dans un camp de l'île de Samos.
Ce type de décision doit être souligné : il est rare, la Cour
y recourt en cas de violations des droits fondamentaux mettant
gravement et irréversiblement en danger des personnes.
https://www.echr.coe.int/Documents/Interim_Measures_FRA.pdf
Enfin,
dans le silence total, le Conseil d'État a
validé pour la quatrième année consécutive le
rétablissement dérogatoire en France des contrôles aux frontières
intérieures de l'espace Schengen.
Pour motif antiterroriste, invoqué
par le gouvernement car
seule base légale possible ici
(quand des policiers font de la chasse à l'homme en montagne à la
frontière italienne, ce n'est pas juridiquement de la « politique
migratoire », c'est de l'antiterrorisme). Et alors que les
traités limitent en tout état de cause cette dérogation à deux
ans. Il a refusé, comme le demandaient des requérants, de consulter
à ce sujet (« question préjudicielle ») la Cour de
Justice de L'Union Européenne. Craindrait-il la réponse ? Nos
libertés à tous sont atteintes. Et les morts, les blessés, les
arrêtés au faciès, enfermés
et refoulés
à la frontière sont celles et ceux qui paient le prix fort.
1Cette
interdiction a été marginalement assouplie au-delà de neuf mois
d'instruction.
2
Ce n'est pas une
surprise. Une étude
menée de chercheurs de Harvard alertait sur cette urgence en
avril 2017. Deux
témoignages récents :
« Certaines personnes vivant […] dans le camp de Moria
vendent leur corps pour avoir de l'argent. Quand tu n'a spas d'argent
pour t'acheter à manger, que ferais-tu ? La prostitution est la
seule possibilité. Il n'y a pas d'autre moyen d'avoir de l'argent. »
(Some people who are living at […] Moria Camp are selling their
body to get some money. When you have no money to buy something to
eat, what would you do? Prostitution is the only option. There is no
other way to earn money.) « Les
mineurs sont dans une situation déplorable ici et les demandeurs
d'asile adulte abusent des mineurs » « Ils ont des
couteaux. Si tu ne fais pas ce qu'ils veulent, ils te menacent de te
tuer. » (Minors are in a miserable situation here and adult
asylum seekers misuse the minors. They have knives. If you don't do
what they want, they'll threaten to kill you.)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire