mardi 24 décembre 2019

Feriez-vous cela de vos mains ?

 
Prochain cercle de silence de Strasbourg
lundi 30 décembre 2019, 18h-19h pl. d'Austerlitz
Rejoignez-le, même quelques instants

Attention au lieu inhabituel à cause du marché de Noël.

Les cercles de silence ont été créés en réaction à la rétention des étrangers : pour faire connaître sa violence et protester.

Nous vous emmenons une fois de plus ce mois-ci dans cette violence, dans nos centres de rétention, et plus loin : dans les camps grecs où l'UE sous-traite le parcage des étrangers, et en Libye où elle sous-traite leur mise à mort, leur torture et leur esclavage.

La lecture prend un peu de temps. Ça tombe bien, ce sont les vacances pour beaucoup.

Nous avons au maximum collecté des témoignages directs. Ceux qu'on entend si peu. Ce temps, ils le valent1. Car nous faisons cela. Nos lois, nos administrations, avec notre argent. Ce faisant, nous nous rendons inhumains. Posez-vous la question : tout ce qui suit dans ce message, le feriez-vous de vos mains ? Collectivement nous le faisons.

Peut-être vous direz-vous : « À quoi bon ? On n'y peut rien. » Rendez-vous en fin de message à ce propos.

La rétention en France.

De nombreux témoignages sur ce qui s'y passe sont disponibles, depuis des années. L'information est là. Curieusement, elle est quasi-absente de tout grand média. Ces gens ne comptent-ils pas ?

La rétention : long tunnel de vide et de promiscuité, absence de soins, enfermement de gens atteints de troubles psychiatriques sévères, automutilations (veines tranchées, verre ou lames de rasoir avalés, grèves de la faim…), suicides et tentatives de suicide2, violences policières, et l'angoisse de l'avion, et le tribunal et la prison si on résiste, des gens mené à l'avion scotchés et menottés, et au bout, de nombreuses expulsions absurdes ou dangereuses pour la vie des personnes.

Allez lire ces dix témoignages lapidaires (une à deux lignes) rassemblées par une intervenante au CRA du Mesnil-Amelot à côté de Roissy. Voilà la réalité hideuse de la machine à enfermer et expulser. Feriez-vous cela à ces gens de vos mains ?

Vous pouvez écouter ici une série de très courts témoignages (de quatre minutes environ) recueillis au CRA de Rennes par la Cimade. Ils ne sont pas des anecdotes, au contraire dressent par touches un panorama remarquablement dense de la rétention.
Parmi ces témoignages voici un Soudanais renvoyé, dont toute la famille a été massacrée au Darfour3. Écoutez la dureté de son parcours jusqu'en France. Puis l'attitude de la France.
Cette expulsions vers le Soudan n'est pas isolée, avec des bonus de violences policières4
Voici un jeune renvoyé alors qu'il est depuis douze ans ici et que toute sa famille encore vivante est désormais en France, en situation régulière. Il n'a plus personne là-bas. Écoutez jusqu'au bout.
Il est lucide : « Je sais que rien ne va changer avec mon témoignage, mais il faut que les gens sachent ce qu'il se passe. »
Voici des familles déchirées. Des gens qui ne reverront plus leurs enfants5, souvent tout jeunes. Avec interdiction de retour dans l'espace Schengen6 sous peine de prison.
Renverriez-vous ces gens de vos mains ?

La rétention est juste un moyen d'empêcher une fuite avant l'avion. En théorie. En fait c'est une peine de prison. Écoutez la dureté gratuite qu'elle est devenue —dans sa version ordinaire, sans parler des dysfonctionnements qui s'ajoutent. Écoutez. Aucun délit n'est reproché à ces gens. Ici : https://soundcloud.com/cimade_rennes/chronique-description-cra
elle devient en outre aussi un enfermement gratuit https://soundcloud.com/cimade_rennes/chronique-detournement
Enfermeriez-vous ainsi des gens de vos mains ?

Et bien sûr, encore et toujours l'enfermement des enfants. Plus de mille chaque année. Nous en avons déjà parlé. De nombreux professionnels de santé pointent le traumatisme durable que, même bref, il constitue. La Cour Européenne des Droits de l'Homme l'a jugée illégale car contraire à la Convention Européenne des Droits de l'Homme, condamnant six fois la France et les autorisations rendues par nos juridictions internes. Mais d'une part comme la loi française ne l'interdit pas, beaucoup de juges continuent de valider, et d'autre part beaucoup d'enfermements sont suivis si vite de l'expulsion qu'aucun juge n'est saisi.
Pour vous donner une idée du sérieux administratif en matière de rétention : on apprend au détour de cette histoire
qu'une enfant de douze ans, prostituée par un réseau et arrêtée, mentant sur son âge, a été placée en rétention (premier réflexe face à une victime de proxénétisme !). Vérifier impitoyablement la minorité des jeunes avant prise en charge par l'Aide Sociale à l'Enfance, c'est capital. Mais enfermer une enfant de douze ans n'a fait tiquer personne. Elle a ensuite tout raconté à la police, permettant le démantèlement du réseau.
Et n'oublions pas les enfermements en « zone d'attente » des aéroports7. Des centaines chaque année. https://twitter.com/anafeasso/status/1202189613332402176
Zone où un enfant de deux ans peut être séparé arbitrairement de sa mère
(vous pouvez toujours signer les pétitions https://agir.lacimade.org/retention et http://lp.unicef.fr/vous-avez-la-cle)
Feriez-vous cela à ces enfants de vos mains ?

Le poète Mathieu Gabard a publié 115 propos d'hommes séquestrés, dont des extraits sont publiés ici (arrestations), là (séquestration) et là (expulsion).
Extraits :
« j’ai plus de quarante fiches de paye et j’étais déclaré, CDI. […] Moi je suis jamais rentré en prison comme ça, j’ai jamais eu des menottes sur les mains. J’étais en train de travailler au chantier. »
« À Melilla, j’ai dit que j’avais vingt-et-un ans. Parce que si tu dis que tu es mineur, ils te gardent.
Arrivé ici j’ai dit que j’avais dix-sept ans —mon vrai âge. […] Ils m’ont fait un test osseux, m’ont dit que j’avais dix-huit ans. […] J’ai été condamné pour faux et usage de faux. Ils m’ont mis six mois de prison […] Je suis arrivé [… au CRA], direct de la prison8. »
« Ils traitent des animaux mieux que nous. [...] On n'est pas des humains ici. »
« Nos familles s’inquiètent, ça bouleverse tout le monde. »
« [Les policiers] sont techniciens, ils savent où frapper pour te faire mal et que t’arrêtes de crier. »
Infligeriez-vous cela de vos mains ?

Ah, et visiblement les CRA ne suffisent pas à la folie gouvernementale. Le mois dernier nous vous parlions du local d'enfermement illégal de la Police Aux Frontières à Menton, dépourvu des garanties données par la loi dans ce type de lieu. Nous découvrons ce témoignage audio, qui nous avait échappé. Il est question de froid, de privation de nourriture et d'accès à médicament et effets personnels, d'électrocution, de gaz lacrymogène en lieu confiné, dans un lieu d'enfermement illégal. Ça dépasse ce que nous imaginions. https://soundcloud.com/cimade/temoignage-paf-menton
Cela a été repris dans un journal à France Inter (1er sujet) :
Et alors ? Et alors rien.

La France est le pays d'Europe qui enferme le plus de personnes par an en rétention (plus de 45000 en 2018). Il y a un an la durée maximale de rétention passait de 45 à 90 jours. L'ouverture de 480 places supplémentaires est planifiée. L'argent est difficile à trouver pour beaucoup de choses mais pas pour cela.

Nous finissons par une note plus simplement sensible, un peu au-delà de la rétention. La Cimade a lancé une campagne de mini-vidéos (une minutes) de témoignages d'étrangers. C'est ici et ça vaut le coup : https://www.lacimade.org/quand-tout-bascule/

Les camps grecs.

Ils ont été établis, sur des îles grecques, comme lieux de transit et d'orientations (« hotspots ») par nos États européens. Mais aujourd'hui, 37 000 personnes s'entassent, bloquées des années dans des camps de 6200 places prévus pour des séjours de 25 jours. L'État grec est laissé seul. C'est loin alors tout le monde s'en fiche.

La situation est devenue catastrophique.
Un WC pour 65 personnes. Une douche pour 90. Quasi pas de soins, sauf ceux prodigués par MSF.
Seul 1 % des enfants sont scolarisés, dans des écoles grecques (et nous vous laissons réfléchir à la question : dans quelle langue devrait-on faire cela ? Leur pays d'établissement final demeure incertain). Désœuvrés, laissés dans la boue, mal nourris, ils développent de graves troubles. Une dizaine de tentatives de suicide d'enfants de moins de dix ans a été récemment dénombrée.
La situation est pire encore dans les bidonvilles qui ont fleuri hors des camps par nécessité.
Parmi ces mineurs, 4000 sont sans famille. Le premier ministre grec a demandé en vain d'en accueillir 3000 (soit 0,0006 % de la population de l'UE) à ses partenaires européens. Il accuse ces derniers de considérer les pays d'arrivée dans l'Union, au premier rang la Grèce, comme « des parkings bien commodes pour les réfugiés et les migrants ». Il indique qu'il évacuera ces mineurs isolés et les logera, aux frais de la Grèce, dans la partie continentale du pays.
Les soins sont quasi inexistants. L'association des pneumologues grecs avertit qu'une épidémie de tuberculose peut survenir dans un avenir proche. « Le problème n'est pas les réfugiés et migrants, mais la maladie elle-même. »
Cet automne, trois enfants sont morts en trois mois, dont un bébé de neuf mois, de déshydratation.
La France a récemment annoncé sa « solidarité », admettant 400 occupants des camps grecs chez elle. Ça représente 0,7 % des 55 000 arrivées de 2018 en Grèce et 0,0006 % de la population française. En 2015 et 2017 nous avions admis un peu plus de 4000 personnes. En matière de miette, nous battons notre record !

3° La Libye

Nous en avons déjà longuement parlé ; elle est un camp de concentration à ciel ouvert pour étrangers jugés indésirables. Nous, via l'Union Européenne, finançons et équipons ses gardiens (un demi-milliard d'euros depuis fin 2015, censément affectés à 40 % à l'assistance aux migrants, avec effet quasi-nul sur ce point).
Nous sommes complices. Et malgré la petite émotion suscitée en 2017 par la preuve irréfutable de la pratique de l'esclavage là-bas, personne n'en parle. Ce faisant, nous sommes deux fois complices.
Nous indiquons seulement une nouvelle référence.
MSF demande à tous de l'aider à remettre ce sujet sur la table. L'association, un des très rares témoins de terrain, publie un petit webdocumentaire. Même si vous avez suivi nos messages sur le sujet, vous y apprendrez, et surtout verrez des témoignages directs. On peut y faire son choix.

Renverriez-vous de vos mains des gens dans cet enfer ?

(Par ailleurs on apprend au détour de ce documentaire de France 24 qu'un étranger « sauvé » en mer par les Libyens et qui essaie de fuir la mise en prison lors de son débarquement à Tripoli peut être purement et simplement abattu. C'est banal mais voici un cas documenté https://www.france24.com/fr/afrique/20191209-libye-piege-infernal-migrants-habitants-tripoli-conflit-milices)

« On n'y peut rien » ?

Les gouvernants sont sourds en effet. Mais au moins deux choses sont possibles :
informer autour de vous. Vous pouvez répercuter ce message. Visiter et faire visiter le site http://www.lacimade.org et sa très à jour rubrique actualités. Témoigner si vous connaissez personnellement des étrangers en difficulté. La parole des étrangers n'est presque jamais répercutée, et la réalité du sort qui leur est fait est constamment occultée. Ceci entretient au mieux l'indifférence, et souvent la peur et la haine. Informer est capital, même si sans effet immédiat.
donner, si vous en avez, du temps ou de l'argent à des associations actives auprès des étrangers.
1« C'est toujours pareil » nous avait un jour répondu un journaliste qu'on informait une fois de plus de ce qui se passe en rétention, pour expliquer que son média ne répercute pas. Même cela n'est pas vrai. C'est lentement de pire en pire. Et toujours extrêmement peu connu. Sondez autour de vous : qui sait tout cela ?
2Après une tentative de suicide dans ses bureaux du CRA du Mesnil-Amelot le 10 décembre, la Cimade a exercé son droit de retrait : les conditions de travail de ses agents ne sont plus tenables. C'est le deuxième exercice de ce droit en un an. https://www.lacimade.org/presse/retrait-de-la-cimade-du-cra-du-mesnil-amelot-apres-une-tentative-de-suicide-dans-ses-bureaux/. Un jeune Roumain s'est pendu au CRA de Rennes le 19 décembre. Il est longtemps resté entre la vie et la mort. En juillet 2019 quatre tentatives de suicide ont eu lieu au CRA du Mesnil-Amelot (https://www.streetpress.com/sujet/1564575540-sans-papiers-tentatives-suicide-cra-mesnil-amelot), et trois en février 2019 au CRA de Coquelles, Nord (https://www.nordlittoral.fr/art/id119926/article/2019-02-23/trois-tentatives-de-suicide-en-une-semaine-au-centre-de-retention-de-coquelles). Un Tunisien trentenaire s'est pendu et est mort au CRA de Toulouse-Cornebarrieu le 21 septembre 2018 ; sa rétention venait d'être prolongée par le juge sur demande du préfet.
3Dans le cas présenté, la personne a vu sa demande d'asile refusée par l'OFPRA. Plus tôt que de raconter sa vraie histoire, elle avait acheté un récit auprès de compatriotes malveillants, qui lui avaient fait croire à la nécessité d'affabuler pour obtenir le statut. Nous soulignons que si ces escrocs sont responsables évidemment, la première responsabilité revient à notre pays. Nous organisons en effet l'« accueil » le pire possible pour les demandeurs et demandeuses d'asile, abandonnées à la rue, souvent mises dans l'impossibilité même d'obtenir un rendez-vous pour s'enregistrer ; l'aide à la constitution du dossier est attribuée à des associations par appel d'offres sur la base du prix le plus bas etc. C'est cet abandon qui ouvre la porte aux escrocs. Sans doute des milliers de personnes ont ainsi été escroquées, mettant leur vie en danger.
4« Dans l’avion, l’un des escorteurs m’a dit que je ne devais plus parler, que je devais garder le silence. Il m’a mis la main sur le nez et la bouche, je n’arrivais plus à respirer, j’ai commencé à étouffer et à cracher, d’autant plus que je suis asthmatique, le policier m’a dit « arrête ta comédie », il m’a accusé de faire semblant. » L'affaire est allée en justice. Verdict : quatre mois de prison ferme. Pour la personne expulsée.
5Les juges valident. Nous avons par exemple vu un juge administratif jugeant, dans le cas du renvoi d'un père de jeunes enfants français, que le renvoi était légal car ne priverait pas les enfants du contact avec leur père : « le contact téléphonique reste possible ». Ouf tout va bien.
6Juridiquement, interdiction de retour en France. En pratique, suite à l'inscription des noms dans un fichier de l'Union Européenne, interdiction également dans toute la zone Schengen.
7Où ces personnes n'ont pas accès à un avocat dans leur procédure de refus d'entrée, ce que le Conseil Constitutionnel vient de juger conforme à la Constitution. C'est merveilleux. https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2019/2019818QPC.htm
8Ce type de situation sur l'âge, avec condamnation pénale puis expulsion, est récurrente, abondamment documentée par de nombreux professionnels. Il est encore facilité et rendu plus fréquent depuis la nouvelle loi asile-immigration et la fichage des personnes se déclarant mineures qu'elle met en place, et le recoupement avec les fichiers de contrôle migratoire.

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